Compte-à-rebours: J-24 jours avant de
reprendre l’avion pour Valdivia.
Et toujours des listes à cocher, ce qui n’a
rien de très passionnant. Cela demande juste d’être bien organisé sur papier —
et dans la tête ! Essayer de ne rien oublier de vital.
Aujourd’hui, j’aimerais surtout partager mes
dernières lectures avec vous.
Commençons par Joseph Conrad, que tout tout
le monde connaît. Qui n’a pas lu Typhon, Lord Jim, ou encore Nostromo ? Si ce
n’est pas le cas, précipitez-vous sur ces magnifiques classiques de la littérature
de la mer et du voyage.
J'avais oublié qu’avant d’être
écrivain, Conrad fut un vrai marin.
Quittant sa Pologne natale à l’âge de 17
ans, il trouve un embarquement à Marseille et s’engage comme matelot. On est en
1874. Les grands voiliers sillonnent encore le globe, mais plus pour longtemps:
les navires à vapeur commencent à leur faire concurrence.
Pendant vingt ans, Conrad va gravir tous
les échelons et passer tous les brevets. Il sera second lieutenant, premier
lieutenant, second, commandant...
Pendant toutes ces années, notre futur
écrivain court les mers du Sud : Londres-Adelaïde, Londres-Sydney, Java,
Sumatra, Bombay, Calcutta, Amsterdam, le Congo ...
Puis il pose son sac à terre, en 1894, et se
met à écrire. Un livre par an jusqu’à sa mort, en 1924, récits nourris et tirés
de sa vie de marin au long cours.
Je viens de lire «Le miroir de la mer»
(1906) où Conrad — bien avant Hervé Hamon, Jean-François Deniau, Olivier de
Kersauson et tous les autres — évoque sa relation à la fois lucide et
émerveillée avec la mer et les navires. Une belle lecture que je recommande à ceux
qui pourraient être en manque de mer,
en cette période hivernale.
C’est
une relation sérieuse que celle qui lie un homme à son navire. Celui-ci a ses
propres droits comme s’il pouvait respirer et parler; et en vérité, il est des
navires auxquels, pour l’homme compétent, il ne manque que la parole, comme dit
l’expression.
Un
navire n’est pas un esclave. Il faut faire en sorte qu’il se sente à l’aise par
mer dure, il ne faut jamais oublier que c’est à lui que vous devez la part la
plus grande de vos pensées, de votre savoir-faire, de votre amour-propre. Si
vous vous rappelez cette obligation, spontanément et sans effort, comme si c’était
un sentiment instinctif émanant de votre vie profonde, il saura faire route, virer
bout au vent, courir vent arrière pour vous aussi longtemps qu’il en sera
capable, ou, tel un oiseau de mer allant se reposer sur les lames furieuses, il
étalera le coup de vent le plus dur qui vous ait jamais fait douter que vous
vivriez assez longtemps pour voir une nouvelle aurore.
Joseph
Conrad, Le Miroir de la mer.
Autre lecture, autre plaisir: Björn Larsson, «La sagesse de la mer».
![]() |
Isle of Skye— Inner Hebridies — www.cuyc.org.uk |
Cet écrivain suédois a vécu plusieurs
années à bord de son voilier, sans jamais descendre beaucoup plus au sud que le
Cap Finisterre. Son territoire d’exploration se situe en mer du Nord, entre
Suède, Danemark, Bretagne, Irlande, Ecosse. Il a lui aussi posé son sac à terre
et enseigne aujourd’hui la littérature française à l’université de Lund, au sud
de la Suède.
Qu’est
ce qui peut vous valoir un sentiment de bonheur pareil à celui qu’on éprouve quand
on vient de s’amarrer dans un nouveau port, après une longue traversée ? Lorsque
avons aperçu les murs de de Saint Malo à travers une légère brume, tôt le
matin, ou lorsque nous avons pénétré dans l’écluse de Brunsbüttel, sur le
chemin du retour, après avoir attendu toute la nuit à l’embouchure de l’Elbe,
sous un gros orage, que la marée s’inverse. Ou encore, lorsque Stan et moi nous
sommes serrés la main à Fraserburgh, après la traversée de la mer du Nord ou
lorsque nous avons pénétré dans le port d’Albaek, sur la côte est du Jutland du
Nord, après avoir parcouru quatre cent quatre-vingts milles en droite ligne
depuis Buckie et déchiré notre grand-voile à quelques encablures du port. (...)
Quand, la cabine pleine de cirés et de cartes marines trempées, nous avons
appelé les garde-côtes à Aberdeen pour leur annoncer, comme nous le leur avions
promis pendant que nous étions en mer, notre arrivée à bon port. Ou lorsque,
après vingt-quatre heures sans dormir, nous avons accosté à Tréguier après
avoir traversé la Manche et couru jusque chez le boulanger pour acheter notre
baguette avant l’heure de la fermeture.
Björn
Larsson, La Sagesse de la mer.
Et enfin, un gros bouquin que j’ai emprunté
à la bibliothèque (... et pas encore acheté): «Histoires du Bout du Monde» de
Philippe Grenier.
Les canaux de Patagonie — http://wizzz.telerama.fr/duane/ |
Voici une anthologie des récits de voyage
en Patagonie. Comme le dit l’auteur dans sa préface:
« (...) donner
une idée de cette littérature de témoignage vécu, qui s’est accumulée sur cinq
siècles depuis qu’en 1520 Magellan a découvert cette «Fin de terre» absolue, et
créé le mot pour la nommer, tel est l’objectif de ce livre. Il est ambitieux:
il s’agit d’abord d’embrasser toute la période qui va de cette découverte
jusqu’à nos jours. Il s’agit, aussi, de dépasser le seul corpus des textes
écrits ou déjà traduits en français. »
Alors Philippe Grenier, géographe, chercheur
au CNRS, grand connaisseur du Chili où il fut professeur d’université jusqu’au
coup d’Etat de Pinochet en 1973, traduit
les textes qui lui plaisent de l’anglais ou de l’espagnol. Et le panorama qui se déploie ici, à la fois
historique et littéraire, est somptueux...
Joya