mercredi 30 octobre 2013

Paysages

Il y a cinq ans, au mois de mai, en arrivant aux Açores depuis les Antilles avec Sir Ernest, j'ai fait la connaissance de Camille Parrain. Cette géographe était en train d'effectuer  le travail de terrain de sa thèse de doctorat. Son sujet encore un peu vague à l'époque tournait autour des paysages marins. Elle  voulait savoir comment les marins se représentent l'espace et venait de traverser l'Atlantique. A Horta, elle arpentait les pontons et avait établi son laboratoire de recherche  "Chez Peter" — où, en mai, il y a du monde ! afin d'interroger le maximum de personnes.

C'est vrai ça. La mer, c'est toujours pareil, non ? Une grande étendue d'eau bleue plus ou moins agitée ? Alors parler de paysages au pluriel peut paraître étrange aux Terriens.
Au large de la Mauritanie
En y réfléchissant, ces paysages correspondent aux zones des bulletins météo que RFI (Radio France Internationale) diffusait à l'époque quotidiennement. Ces paysages sont loin de n'être que visuels. Ils sont aussi kinesthésiques (les mouvements du bateau, la température qu'il fait), olfactifs, auditifs (le bruit du bateau, de la mer et du vent) et mentaux (la position sur la carte, les fonds marins, la distance aux côtes).

Alors, laissez moi vous raconter les paysages marins que je connais.

En Méditerranée

La Méditerranée est un espace clos, où on se trouve rarement à plus de deux ou trois jours de navigation d'une côte. Elle se caractérise par ses odeurs puissantes, son caractère capricieux — le vent se lève brusquement  sans signe annonciateur. Le bleu soutenu, le blanc, l'ocre sont les couleurs dominantes et la lumière est très vive. La Méditerranée un paysage marin très peuplé:  on n'arrête pas d'y croiser du monde (cargos, pétroliers, yachts à moteur, voiliers, chalutiers). 
Mistral à Port Vendres

Vers Gibraltar

Le détroit de Gibraltar et son prolongement composent presque un espace urbain. Notamment à cause de ces voies de navigation, les "rails" que les cargos et les pétroliers sont obligés de suivre. Rail montant, rail descendant, les navires n'ont pas d'autre choix que de suivre cette route et de s'annoncer auprès  des contrôleurs du trafic maritime.  Quand nous y sommes passés cet été, l'officier d'un cargo s'est fait vertement engueuler par la dame qui gérait la vacation car il ne s'était pas annoncé dans les temps.
Le détroit ne fait que 10 milles (20km) de large, et même si on voit rarement la côte d'en face à cause de la brume et de la pollution, on entend les sirènes mugir. Ici la mer est une espèce de torrent d'eau vive, à cause des courants et des vents qui accélèrent furieusement à la sortie. La différence de température entre l'Atlantique et la Méditerranée est très nette. Toutes les nuances de bleu gris s'y conjuguent, associées aux verts, bruns et noirs.
Détroit de Gibraltar
Entre Gibraltar et les Canaries, la côte est toujours présente à l'esprit: la rive atlantique du Maroc est une longue plage de sable sur laquelle il ne faut pas être drossé en cas de mauvais temps. On la surveille du coin de l'oeil sur la carte et on lui laisse de la marge. L'espace entre Gibraltar et les Canaries est une espèce de patchwork multiforme, avec ses différents archipels qui s'égrènent le long de la côte africaine (Madère, Canaries, Cap vert). Territoire de pèche des Marocains et des Mauritaniens, on y croise des chalutiers de toutes tailles et aussi (ça c'est moins drôle) d'immenses filets dérivants.

La traversée

Entre les Canaries et les Antilles le paysage va changer trois fois. Au départ des Canaries, pendant une semaine à 10 jours, c'est une zone de vent fort et de grosses vagues. Le paysage est rude, escarpé, abrupt. Les couleurs dominantes sont le vert, le gris, le blanc du sommet des vagues, le bleu marine. On pourrait se croire à la montagne, d'autant que le bateau glisse en dévalant les talus. La mer est toute petite: l'horizon est rétréci par la hauteur de la houle. Dans cette zone de "mer agitée à forte ou très forte", on voit peu d'animaux marins.

Peu à peu, cependant, la mer va se calmer, lorsque nous entrons dans la zone qui s'appelait il y a quelques années Alizés ouest. Ici la mer s'aplanit, l'horizon s'ouvre et devient immense. C'est un paysage où la mer joue avec le ciel: des grains (de courtes périodes de fortes pluies) se succèdent, les rideaux noirs passent à gauche, à droite, et parfois juste au-dessus de nous. Les couleurs s'intensifient: bleu cobalt, violet, rouge, noir.

Enfin, la dernière partie de la traversée, en arrivant aux Antilles. A chaque fois, le vent est tombé complètement environ 200 milles avant l'arrivée. La mer est calme, de longues ondulations soulèvent le bateau et la mer est immense. Il n'y a plus de bruit. La grande profondeur sous la quille donne le vertige lorsqu'on se baigne dans une eau plus calme que le lac.


J'ai repris contact il y a quelques temps avec Camille: elle a soutenu sa thèse: Territorialisation des espaces océaniques hauturiers. L'apport de la navigation à voile dans l'Océan atlantique. (Université de la Rochelle). L'article qui résume son travail a été publié début 2012 dans la revue EchoGéo.

Joya

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