samedi 14 mars 2015

De Chiloé à la Bahia Pink... et retour.


Autant vous le dire tout de suite, sans tourner autour du pot.  Nous avons dû faire demi-tour. Je vous rassure: pas d’avarie, pas de problèmes de santé, tout va bien à bord.
Juste une bête histoire de calendrier et de vents contraires.

A Valdivia, nous avons pris du retard sur notre  planning à cause de nos ennuis de moteur. Puis le vent s’est mis à souffler du sud. Sans discontinuer. Ce qui, quand on est un voilier et que l’on veut aller au sud, pose un problème, en particulier lorsque le vent est fort et la mer creusée. Puis nous avons dû attendre une fenêtre — nous appelons fenêtre le temps qu’il nous faut pour franchir une distance donnée entre deux abris — pour passer la Boca del Guafo. Puis nous avons avancé coûte que coûte, au moteur contre le vent, pour arriver jusqu’à la Bahia Pink.
Au moteur: contre le vent, ou par calme plat.
Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais pour nous qui descendons vers le sud de la Patagonie, c’est l’endroit où nous quittons l’abri des Canaux pour une sortie en mer ouverte d’environ 150 milles jusqu’au Golfo des Penas.
Ha ! Le Golfe des Peines, le bien nommé !
Ici, les fonds marins remontent brutalement de plusieurs milliers de mètres à quelques dizaines de mètres de profondeur. La conséquence, c’est qu’en cas de mauvais temps, les vagues déferlent dangereusement. Totalement déconseillé.

Sir Ernest n’avance pas vite et il lui faut une fenêtre de 30 heures pour franchir ces 150 milles. Et cette fenêtre nous a été claquée au visage par les Dieux des vents patagons. “Revenez une autre fois, voyageurs trop pressés. Revenez quand vous aurez du temps !”.

En effet, nous avons fait nos petits calculs: attendre une fenêtre hypothétique — rien à l’horizon des 10 prochains jours + descendre le reste de la Patagonie + faire le tour jusqu’à Mar del Plata en Argentine... Impossible de caser toute cette route avant mi-avril, sachant qu’on ne navigue que de jour, que les jours raccourcissent, que les coups de vent vont nous obliger à des escales imprévues et que Thibault doit rentrer en Europe à ce moment-là.
Un bateau de pêche met un peu de couleur dans la grisaille.
Les larmes aux yeux et le moral en berne, nous avons fait demi-tour.

Et que croyez-vous qu’il advint ? Mais oui, vous avez tout juste ! Le vent a tourné au nord. Trop fort pour nous permettre de passer le Golfe des Peines, mais toutefois bien contrariant pour rebrousser chemin.

Voici donc, en images, le récit de notre incursion en Patagonie. Magique, magnifique, grandiose. On se sent tout petit et drôlement privilégié, de naviguer dans ces eaux.

22 février — On entre en Patagonie après la Boca del Guafo. Mouillage à la Caleta Valverde.
Caleta Valverde
Un dédale de petites iles et d'îlots. Par où on passe, dis ?
23 février — Route au sud à travers le dédale des Canal Perez Norte et Sur.  Mouillage à Puerto Americano, lagon intérieur de toute beauté.

Puerto Americano, l'espace et le silence.
24 février — On tente d’avancer, le vent est trop fort, on doit faire demi-tour. Mouillage à la Caleta Esteban. Deux petits bateaux de pêche y ont trouvé refuge, et nous sommes surpris d’être accueillis par Ruben, l’ermite bûcheron qui vit ici. Il nous fait les honneurs de sa maison: une cabane pleine de courants d’air, dans laquelle il fait une chaleur suffocante. Son potager ronronne, il y cuit une mixture peu ragoûtante qu’il destine à ses chiens. Dit-il. Nous signons son livre d’or — quelques feuilles volantes où les yates de passage ont inscrit leur nom et la date de leur visite.
Plus tard, Ruben nous apporte un poisson. Nous lui offrons un paquet de café et deux citrons en échange. Il a fait une belle affaire, il est ravi et nous sourit de toute sa bouche édentée.
Caleta Esteban, excellent abri. Dehors, cela souffle tellement que nous avons dû rebrousser chemin.
25.2 — Nous pouvons enfin descendre ce fameux canal Errazuríz et jetons l’ancre, après plus de 45 milles, dans la Caleta Jacqueline. Jolie plage de sable blanc, une cascade d’eau fraîche dans le coin nord-est... sans les nuées de taons qui nous assaillent, on serait au paradis.
Une cascade d'eau douce pour refaire les pleins.
26.2 — Encore une grosse journée, nous touchons au but: la Bahia Pink. En route nous croisons deux voiliers qui ont pu profiter du vent du sud pour franchir le Golfo de Penas. Nous passons la nuit à la Caleta Millabú, au fond d’un fjord majestueux long de deux milles. Il nous faut manoeuvrer plusieurs fois avant de trouver le bon coin où être bien accrochés. Finalement, nous ne serons pas seuls: deux navires de l’Armada de Chile viennent aussi s’installer là pour la nuit. Pas un cri d’oiseau, rien que la cascade qui tombe de la montagne avec fracas.
Cette Caleta Millabú a un petit air connu: on se croirait dans les Alpes.
27.2 — Nous partons au lever du jour pour tenter le passage vers le Golfo de Penas. Après vingt milles de navigation nous sommes cueillis par 25 noeuds de vent de sud et une houle de 4 mètres. Dans ces conditions, étant données les capacités de Sir Ernest, nous ne trouverons pas d’abri avant l’arrivée du coup de vent de nord. Demi-tour. La porte de la Patagonie vient de nous claquer au nez.
Bahia Pink, le calme plat à l'intérieur. Mais 25 noeuds de sud au large.
28 février et 1er mars — Deux nuits arc-boutés dans le coup de vent, dans la Caleta Guianín, sous le vent de l’Isla Larga, toujours dans la Bahia Pink. Il y a une salmonera plus loin, dont les lumières brillent toute la nuit.
La salmonera de la Caleta Guianín, le matin après le coup de vent. 
2 mars — Nous faisons la route à l’envers. L’abri que nous visons est déjà occupé, des bout’s dans tous les sens barrant l’accès de la caleta. Nous nous approchons: les propriétaires se terrent dans le cockpit, au contraire de toutes les règles de courtoisie locale entre voiliers de passage. On se croirait à Minorque. Détestable. Mais nous découvrons une caleta sans nom, et faisons la connaissance de d'Andrius et Jurgita, Lithuaniens à bord de Taura. 
Taura, croisé une première fois vers la Bahia Pink.
3 mars — Caleta Nuevo. Nous nous y amarrons sérieusement car un nouveau coup de vent est annoncé. Difficile d’y croire, le ciel est clair, il y a du soleil et pas un louf. Mais... le baromètre est en chute libre. En attendant, nous refaisons les pleins d’eau à la cascade.
Si, si, le baromètre est en chute libre. 
5 mars — Le besoin de fuel se fait sentir après tous ces milles contre le vent. Nous allons tenter notre chance à Puerto Aguirre, un village de pêcheurs. Hélas: Petroleo ? No hay ! La bomba se rompió — Du fuel ? Y'en a pas. Enfin, plus exactement, je ne peux pas vous en servir, car la pompe est cassée. 
Il y a bien un bateau qui devrait venir la semaine prochaine pour réparer. Mais rien n’est sûr.  
Puerto Aguirre
 Nous allons donc tenter notre chance 70 milles plus loin, au nord-est. En route pour Puyuhuapi.






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