Un ou deux jours avant de partir, il ne nous reste presque plus rien à faire.
Sauf bien sûr, obtenir notre
zarpe de sortie de Valdivia pour aller vers le sud.
Jusqu'à présent, les Dieux ont été gentils avec Sir Ernest. Les officiels sont montés à bord, ils ont tamponné des papiers, ils ont regardé nos citrons d'un air suspicieux, mais enfin, ils ont été gentils.
Il fallait bien qu'un jour, nous fassions l'expérience de la bureaucratie sud-américaine.
Eh bien c'est chose faite. Je vous raconte.
C'est donc confiants que nous sommes arrivés, ce matin à 9h 30, à la
Capitanía del Puerto de Valdivia.
Nous savions que nous devions nous aquitter d'une taxe annuelle, la
señalisación maritima, avant de pouvoir obtenir notre fameux sézame de sortie. Pas de problème, nous sommes allés directement au bon bureau.
Et là... probablement était-ce la première fois que la dame avait affaire à un voilier étranger — est-ce possible ? vraiment ? Bref, cela a pris des plombes. A chaque nouvelle ligne à remplir sur son écran, Madame téléphonait à un copain, puis à un supérieur, pour lui demander conseil. Peut-être la somme à payer lui semblait-elle dérisoire ? En effet, 3.36 US$, même au Chili, cela ne fait pas beaucoup d'argent ... Surtout pour tant d'énergie et de temps investis.
Après avoir passé une bonne heure dans son bureau exigu, sans fenêtres donnant sur l'extérieur, avec en fond sonore la radio musicale du coin, nous avons eu l'injonction d'aller à la banque pour payer cette fameuse taxe en dollars US. Pas moyen de payer sur place, pas moyen de payer en pesos.
Bon, endossant nos sacs à dos, nous traversons la rue pour aller à la banque.
Une première queue: ce n'est pas le bon guichet.
Une deuxième queue — 45 minutes, tout de même ! pour nous entendre dire que sans RUT, la dame ne peut rien pour nous ! Arghhhhh...
pero, somos estranjeros ! No te-ne-mos RUT !!!! (maaaiiiiiiis.... on ne l'a pas votre foutu rrrrout. On n'est-pas-d'ici !!!)
Puis la dame nous fait le coup du...
tenemos un problema de sistema informática — c'est tout la faute à l'informatique...
Décidés à ne pas quitter la BCI avant d'avoir le fameux tampon
cancelado sur notre papier, nous nous accrochons au guichet. Un monsieur dans la queue s'offre à nous changer des dollars. Les gens nous regardent d'un air mi-compatissant, mi-agacé.
Enfin, après avoir disparu dans le bureau du chef pendant des siècles, l'employée modèle revient avec le fameux papier. Ouf.
Nous retraversons la rue au galop, car mine de rien, le temps avance et à midi tout le monde part manger. Et c'est alors que nous entrons, oh pôv' de nous, dans le bureau d'Alex M.
Souvenez-vous de ce nom, amis navigateurs. Si par malheur vous tombez sur lui au moment d'établir votre
zarpe de sortie, faites demi-tour, repassez le lendemain.
Nous revoici dans un autre bureau exigu, mais avec fenêtres cette fois. Et notre fonctionnaire zélé, 31 ans, un enfant de 6 ans et une femme de 25 ans (euh... avant de me fâcher j'ai eu le temps de le faire parler...) remplit son papier, ligne après ligne; admire les photos de nos passeports; veut voir notre l
icenzia de navigacíon — notre permis B; veut savoir quels sont les canaux de notre VHF; le numéro de téléphone de l'Iridium.
Puis il annonce qu'il ne peut pas nous établir un
zarpe jusqu'à notre destination finale. Puerto Williams, c'est beaucoup trop loin.
Voyons.. oh, allons, jusqu'à Puerto Aguirre... Là, je commence à m'énerver.
Puerto Aguirre c'est tout au nord des canaux de Patagonie, ce bled ne fait pas partie des endroits où j'ai envie de m'arrêter, c'est pavé de cailloux et mal protégé.
Finalement, on transige sur Puerto Eden, où de toute manière nous ferons escale. Il a alors la réaction des faibles:
bon d'accord, je vais demander à mon chef, s'il est d'accord cela ira, mais pour des raisons de sécurité, vous comprenez...
A ce stade, je n'ai plus besoin d'un dessin. On est tombés sur l'Emmerdeur de Valdivia, et c'est un spécimen particulièrement gratiné.
Attendez, attendez, ce n'est pas la fin de l'histoire !
Car après la séance bureau — entre les bureaux de l'Armada et la banque, nous y avons passé la matinée jusqu'à 12h15 ! il y a encore la visite du bateau.
Pour d'autres, cette visite est une formalité. Pour nous, elles s'est transformée, grâce à Alex M, en une expérience
intéressante.
Il arrive à l'heure dite, casquette et uniforme immaculé, dans une voiture officielle avec chauffeur. Et sort sa petite feuille pleine d'items à cocher:
La VHF ? Il veut la tester. Manque de pot, personne ne répond à son appel. Je commence à transpirer. Va-t-il nous demander de la faire réparer ? ..... Thibault est allé au bureau de La Estancilla s'assurer qu'elle fonctionne.
Puis il nous fait tout ouvrir: il veut voir les provisions; les réserves d'eau; les pièces de rechange... là il a été servi; il faut que je lui sorte toutes les boîtes de médicaments; les gilets de sauvetage — nous avons des gilets hydrostatiques et ils ne sont pas de la bonne couleur; il nous demande de déhousser le radeau de survie pour contrôler son numéro; il hésite un instant à nous demander à gonfler l'annexe; il veut voir notre “poster“ de la Réglementation Internationale des Abordages en Mer. Nous avons le livre, mais pas l'image encadrée qu'il nous enjoint d'acheter.
Il vérifie les extincteurs que nous avons fait réviser la semaine dernière. Et enfin, apothéose finale, nous en arrivons aux fusées. Nos fusées sont encore valides jusqu'en 2017. Mais, malheur, le coffret standard que nous avons acheté au Chili comprend trois fusées de chaque, ici il en faut 4. Et le règlement, c'est le règlement.
Et malheur supplémentaire, Thibault montre à notre visiteur les fusées périmées que nous transportons depuis le départ, car personne n'a été d'accord de nous en débarrasser en cours de route.
Ah ! Mais c'est totalement interdit de transporter du matériel pyrotechnique périmé. Il faut donc... acheter les fusées manquantes et débarrasser les périmées.
Ok, pas de problème. Mais pas question de faire la tournée de Valdivia
by myself. Nous irons avec lui, dans sa voiture de fonction.
Nous voici donc partis, Alex et son chauffeur, Thibault et moi, et notre sac de fusées périmées. Dans la voiture officielle de l'Armada, ce qui est formellement interdit, comme nous le rappelle notre
cher ami — histoire de montrer qu'il nous fait une fleur.
Nous tournons un moment dans un quartier de Valdivia que je ne connaissais pas, et voici le bureau des
Carabiñeros, ceux qui s'occupent des armes à feu. Evidemment, le bureau ouvre de 8 à 13h et il est 16h30. Mais, grâce à un militaire en uniforme, qui tient
mordicus à nous faire acheter des fusées, nous entrons dans le bureau où un policier catégorique affirme qu'il est impossible à des étrangers d'acheter des fusées au Chili, même si l'Armada l'exige, car pour ce genre de transaction, il faut un...
RUT. Eh oui ! Et pour se débarrasser des fusées ? C'est pareil.
Nous sommes sortis de ce bureau avec notre sac plein de fusées périmées (depuis 2013, ce n'est pas la fin du monde), sans
bengales supplémentaires. Non mais !
Au moment où je m'apprête à remonter dans son 4x4, il finit par nous dire que nous sommes
listos — prêts.
Mais que bon, il faut qu'il en parle à son commandante
, qu'il lui explique pourquoi il a été o-bli-gé de nous accorder cette exceptionnelle exception.
Et vous voulez savoir le clou de l'histoire ? Il a quémandé une pièce de monnaie suisse — pour sa collection de monnaie étrangère.
Verdad !
Joya