Je ne sais pas vous, mais, pour ma part, je ne saurais pas me passer de la
bonne vieille carte marine en papier. Pas par nostalgie ou esprit rétro,
non. MaxSea (un programme de navigation) est toujours ouvert sur
l'ordinateur, et Navionics (un autre ensemble de cartes électroniques) est
chargé sur l'ordi, au cas-où. Mais si ces programmes sont formidables,
qu'ils nous positionnent avec exactitude sur la carte sans qu'on ait besoin
de faire le moindre effort de calcul, la cartographie numérique fait
l'impasse sur un élément qui, mine de rien, a son importance en traversée:
la nature des fonds.
Comment cartographier l'océan, cette immensité vide ? Le grand routier de
l'Atlantique que nous utilisons en ce moment est bordé à gauche et à droite
par les continents (en beige) et leur plateau continental (profondeurs
jusqu'à 200 mètres, en bleu). Tout le reste de la carte, mis à part la
grille des latitudes et longitudes, est couverte de circonvolutions et de
chiffres. Ces arabesques et ces cercles représentent la géographie
sous-marine, chaînes de montagnes, vallées et sommets isolés, plaines
immenses.
Sur notre route, depuis le sud des Bahamas, nous avons d'abord passé
au-dessus de la Plaine Abyssale de Nares, dont la profondeur moyenne se
situe entre 6000 et 5000 mètres. Elle n'est pas uniformément
plate, mais ponctuée de montagnes sous-marines dont les plus hautes
culminent à - 4920 mètres .
Plus loin, passage obligatoire entre les Bermudes et les Açores, se trouvent
les Corner Seamounts (35N - 50W).
Cela fait une semaine que nous nous bagarrons pour faire le tour de cette
chaîne montagneuse au sud de la Plaine Abyssale Sohm (-5300 mètres) dont les
plus hauts sommets culminent à - 970 mètres. Les Corner Seamounts, ce sont
un peu les Alpes sous la mer. Elle se trouvent forcément au milieu de la
route de ceux qui rentrent des Antilles. Et même à 1000 mètres de
profondeur, ces Corner Seamounts sont une plaie. Parce que le Gulf Stream,
dans sa route vers l'Europe, passe aussi par là, et qu'il en profite pour
s'y promener, s'engouffrant dans les vallées, tournant autour des sommets.
Résultat pour nous, qui peinons à la surface: du courant contraire et une
mer chaotique.
Ce n'est pas la première fois que cette zone nous donne du fil à retordre.
Etre freiné par un courant contraire au milieu de l'Atlantique nord, il
n'y a rien de plus rageant. Quand on examine le tracé de nos routes à cet
endroit de la carte, on s'aperçoit que le vent et le courant réunis nous
ont toujours obligés à faire le tour des Corner Seamounts. Cette année ne
fait pas exception. Même si Sir Ernest est passé plus au nord, nous avons
subi les "rebiques" du courant.
Petit à petit, cependant, nous progressons en direction du but. Il y a
trois jours, nous avons franchi la barre des derniers 1000 milles. Mais ne
cédons pas trop vite à l'enthousiasme: nous avons encore droit à un petit
coup de vent prolongé par un long épisode de calmes avant d'arriver à
destination.
Joya
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