samedi 19 avril 2014

Dernières heures

Il est huit heures du matin ici, à la Marina Estancilla. Le jour vient de se lever. Le bateau est désarmé pour l'hiver: nous avons enlevé toutes les voiles, rincé tous les bouts et toutes les écoutes, rincé et talqué l'annexe, hiverné le moteur hors-bord rangé rangé et encore rangé.


 Sir Ernest va passer de longs mois tout seul ici, jusqu'à notre retour pendant l'été austral.
Nous n'avons pas chômé, mais nous avons aussi visité la ville. Ici, la moyenne d'âge doit être à peu près 22 ans: on ne croise que des jeunes, pour le plus grand bonheur de Mahaut. On ne voit que des jeunes, et en plus, ils sont beaux, bruns, souriants. Valdivia est une ville universitaire (il y en a trois) ceci explique cela. J'adore l'architecture des maisons, aussi: elles sont souvent en bois, de couleur vive, avec un toit pentu et une grande cheminée: cela dit tout du climat qui règne ici pendant l'hiver. Comme nous l'a dit Jorge, entre mai et septembre, ici il pleut, il pleut, il pleut...
J'espère que Sir Ernest ne va pas trop souffrir à son ponton, lui qui aime tant  la chaleur de la Méditerranée !


Maintenant au programme: un petit café, fermer les sacs et les sortir du bateau, prendre un bus municipal jusqu'au Terminal de buses de Valdivia. Puis un bus rapide jusqu'à Santiago — nous verrons un peu le pays au passage. Demain matin, un premier avion de Santiago à Sao Paulo, puis de Sao Paulo à Munich, puis de Munich à Genève. Eh oui. C'est que cela fait loin, de Valdivia à Genève !

Joya


mercredi 16 avril 2014

Rio Valdivia

Fidèles à notre habitude, nous sommes arrivées de nuit. C'est long, très long, l'approche d'une terre depuis la mer, quand on a hâte d'arriver ...
La Bahia Corral et le Rio Valdivia forment une profonde échancrure dans la côte chilienne rectiligne. Mahaut a fait une nav' aux petits oignons pour nous guider jusqu'à l'endroit où nous avions décidé de passer la nuit, derrière l'île Mancena, au début de la rivière de Valdivia.
Deux phares qui clignotent, une bouée verte, une autre encore à identifier, deux feux rouges, des barges qui passent à fond de train en direction de Valdivia... ouh là, il y a du monde, tout à coup ! Nous n'avons plus l'habitude de tant de trafic... le radar est en marche et l'adrénaline coule à flots.
A petite vitesse, nous nous glissons derrière l'île pour mouiller juste en face du débarcadère illuminé. Il y a 4m20 de fond, cela devrait aller même avec cette marée de vives-eaux.


Le lendemain, nous nous réveillons dans la brume et les odeurs de varech qui font furieusement penser à la Bretagne. Nous découvrons le paysage: les petites maisons colorées sur l'île, l'entrée de la rivière derrière nous. J'appelle l'Armada à la VHF sur le 16... pas de réponse. Ma radio fait-elle de nouveau des siennes ? Tant pis, moteur en route.
Et voici qu'un fonctionnaire de Puerto Corral arrive dans sa petite barque jaune, et que deux jeunes appelés de l'Armada nous rejoignent en zodiac. Ils nous avaient bien sûr repérés depuis longtemps, mais avec cette gentillesse et courtoisie toute chilienne, nous ont laissé dormir tranquillement !
Pour une fois, les formalités sont rapides puisque nous sommes déjà entrés au Chili à Rapa Nui. Il nous faudra juste aller montrer notre zarpe à Valdivia, mais cela attendra que nous soyons amarrés quelque part.


En route pour la remontée de la rivière. Une fois encore, nous avons failli nous planter dans la vase car un peu distraite par le décor je me suis égarée en dehors du chenal. Le paysage est magnifique, des forêts, des couleurs automnales, un peu de brume...
Nous croisons des barges et des petits cargos qui descendent de Valdivia, il y a des fermes marines et beaucoup de forêts.






 Enfin, après quelques manoeuvres tugudu, Sir Ernest prend ses quartiers d'hiver à côté d'Enjoy. Nous sommes loin de tout, ici c'est le règne du silence et le paradis des oiseaux. Le bateau va se reposer ici jusqu'à notre retour, lors du prochain été austral, pour la suite du périple: la descente des canaux de Patagonie et le retour en Europe.

                                                                                                                                                  Joya

C'est enfin fini

Eh oui, même les pires expériences ont une fin. Même cette traversée qui semblait ne plus devoir finir s'est terminée.
Deux jours avant de voir la côte, nous avons essuyé la plus grosse tempête de notre vie. Joya m'a assuré que depuis plus de trente ans qu'elle navigue, elle n'avait jamais vu une mer aussi impressionnante. Pendant près de douze heures, le vent a soufflé force 9 sur une mer complètement blanche. La crête des vagues fumaient et l'écume s'envolait en poussière dans l'air. Nous étions au début avec la trinquette seule mais nous avons finalement dû prendre un ris dans celle-ci parce que nous étions encore surtoilés. Je ne suis pas sûre de pouvoir décrire la monstruosité de ce coup de vent ni le sentiment de peur et de respect qui s'est imposé à nous. En y repensant après coup, je me dis que c'était probablement l'un des plus beaux spectacles de ma vie, mais sur le moment, j'espérais surtout que Sir Ernest n'allait pas chavirer. Heureusement, les vagues n'étaient pas trop dangereuses et notre fidèle bateau à tenu bon. Il faut lui reconnaître cette qualité : il est solide.

Finalement, en fin de journée, le vent a un peu faibli et, dans la nuit, nous avons dû mettre le moteur. Nous avons ensuite découvert le calme après la tempête qui a duré jusqu'à notre arrivée.


"Ouf !", vous direz-vous, elles ont pu souffler un peu. Mais... non. Notre pilote automatique a rendu l'âme en arrivant au Galapagos et depuis, lorsque nous sommes au moteur, nous devons barrer manuellement. Nous avons donc passé deux jours et une nuit à barrer dans le froid glaciale de ce début d'automne australe. Nous avons fait des tournus toutes les deux heures et autant vous dire que nous n'avons pas beaucoup dormi. La journée, cela allait encore parce que le soleil chauffait un peu l'atmosphère, mais la nuit, c'était... difficile. Mais dimanche matin, notre moral a remonté en flèche parce que nous nous avons enfin vu la terre. Après 25 jours d'horizon vide, nous avons aperçu droit devant nous l'ombre des montagnes. Quel soulagement !
L'approche a été sublime, sur une mer toute lisse et dans une légère brume.


Dans la matinée, alors que nous étions arrêtés le temps d'un plein de fuel, nous avons remarqué un bateau qui s'approchait. C'était des pêcheurs, quatre hommes d'équipage et un capitaine, qui venait nous saluer et voir si nous avions besoin d'aide. Notre premier contact humain. Tout d'un coup, la mer nous a semblé moins vide et nous avons gardé un grand sourire longtemps après leur départ.

Nous sommes finalement arrivés à l'entrée de la Baia Corral dans la nuit et nous avons mouillé juste avant l'entrée de la rivière pour attendre le lever du jour. Pour la première fois depuis bien trop longtemps, nous avons pu dormir une nuit entière.

Lundi matin, nous avons remonté une partie du Rio Valdivia jusqu'à la marina Estancilla. Cet endroit est tout simplement sublime. L'amarrage aux pontons a été un peu difficile à cause du courant, mais les marineros, qui sont d'ailleurs adorables, nous ont aidés et tout s'est bien passé.



Nous avons pu prendre notre première vraie douche chaude depuis trois mois et, croyez-moi, c'était le bonheur. Etonnamment, je n'ai pas eu le mal de terre. Je crois que j'étais tellement heureuse de tenir debout sur un sol immobile que je n'ai même pas pensé à avoir mal au coeur.

Depuis, nous travaillons énormément pour pouvoir laisser le bateau cet hivers. Repo-quoi ? Reposer ?! Connais pas.

Mahaut

samedi 12 avril 2014

Le calme après la tempête

Mais le calme ça veut dire qu'il faut avancer au moteur, et alors le calme est assez bruyant...

"Après la tempête d'hier (monstrueuse), le vent a faibli dans la nuit et là, il n'y a plus rien. Cela va plutôt s'annoncer moteur, non ? J'espère que Perkins ne va pas nous lâcher..."

Perkins c'est le nom du personnage lunatique qui joue le rôle de moteur. Quand il joue correctement... Mais il reste environ 120 milles à courir jusqu'à l'entrée du Rio de Valdivia, une grosse journée, voilà quoi: ça sent l'écurie.

Bahia Corral, l'entrée du Rio Valdivia

mercredi 9 avril 2014

Frais, et assez frais aussi... l'automne austral

Le front froid est passé sur nous hier comme prévu avec 39 noeuds de vent, puis cela s'est stabilisé autour de 28-30 noeuds; on a passé la nuit avec 3 ris trinquette...
Là on vient de relâcher un ris et remettre l'artimon à 1 ris.
[…]
Un lever du jour un peu inquiétant

On a sorti les sous-vêtements thermiques, la bouillotte est utile pour chauffer les couchettes et comme chaufferette pendant la nuit de quart. Mahaut vient de prendre un super ptit dèj de pancakes, la mer est bien formée mais il y a du soleil.
Voili voilà,

Joya & Mahaut

samedi 5 avril 2014

Le vent adonne, le bateau avance, le moral remonte...

Nous reprenons peu à peu espoir. Depuis deux jours, nous faisons enfin une route acceptable. Nous nous rapprochons de la côte chilienne et nous envisageons à nouveau la possibilité d'atteindre Puerto Montt. Les miles diminuent enfin significativement.

Mahaut fait le point sur la carte

Le temps est toujours très froid et le soleil se cache souvent derrière les nuages. Nous avons donc développé un mode de vie semi-hivernal qui consiste à dormir énormément, à boire beaucoup de thé (le thermos est toujours plein d'eau chaude) et à faire chauffer le four. Hier, nous avons mangé une pizza faite maison et ce matin, c'était des petits pains tout chaud pour le petit déjeuner.
Nous récupérons très doucement de notre fatigue. Nous sommes encore épuisées, mais je crois que nous arrivons mieux à tenir sur nos jambes. La côte se profile à nouveau à l'horizon de notre imagination. J'ai l'espoir que ce cauchemar qui a duré une semaine est terminé. Avec un peu de chance, nous arriverons bientôt à bon port !
Mahaut.

(Note du posteur: vous pouvez constater en cliquant sur le lien "Carte" au dessus du texte, que la progression vers l'Est est excellente ces deux derniers jours, ça a vraiment l'air d'aller mieux.)

mercredi 2 avril 2014

Cette fois, c'est horrible pour de bon...

Voilà plus de quinze jours que nous sommes en mer. La première semaine a été presque agréable mais la seconde a été horrible. Et c'est bien parti pour durer une à deux semaines de plus.
Depuis une semaine, le vent souffle du sud-est, c'est-à-dire pile dans la direction que nous visons. Il est donc impossible d'aller en ligne droite à Puerto Montt et nous commençons à nous demander s'il est possible d'y aller tout court. Le vent est aussi très variable et nous devons constamment changer notre voilure.

Pour vous donner un example, lorsque je me suis mise à écrire cet article, il y avait du soleil et peu de vent. Il y a quinze minutes, j'ai dû m'arrêter pour aider Joya à prendre un ris dans l'artimon parce que le vent avait subitement forci. Le ciel est maintenant complètement gris. Cette nuit, le tambour du génois (qui permet de rouler et dérouler la voile) s'est bloqué. C'est l'une des pires choses qui puisse nous arriver mais, heureusement, nous avons réussi à le débloquer grâce à beaucoup de WD40, de coups de marteau et de force dans les bras. A 22h30, après une heure d'essais, nous avons enfin pu aller nous coucher pour nous relever une heure et demi plus tard parce que le vent était tombé. A 3h30 du matin, le vent a violemment forci et nous avons du prendre un ris dans la grand-voile. Je me souviens m'être levée encore trois heures plus tard, mais je dois avouer que je ne me souviens même plus pourquoi.
Beaucoup de nos nuits ressemblent à cette dernière et nous avons du mal à nous reposer. Entre le manque de sommeil et la distance au but qui ne diminue presque pas, il est difficile de garder le moral. Il nous reste 857nm à parcourir et cela me paraît plus loin que jamais.
Nous envisageons très sérieusement de partir plutôt vers Valparaiso, qui est plus au nord et donc peut-être plus atteignable, mais cela compliquerait considérablement la suite du voyage. Pour l'instant, nous nous contentons d'avancer dans la meilleure direction possible.
Espérons que ce soit suffisant.
M.