jeudi 26 mars 2015

Record de vitesse, Valdivia et autres histoires de traversée

Nous voici à Valparaiso. Enfin, pas exactement: nous sommes au Club Nautico Higuerillas, à Concón, la baie juste après Valparaiso en venant du sud.

Mais d'abord, il faut que je vous raconte notre passage du Canal Chacao, le 19 mars. On s'engage dans le canal juste au moment de la renverse de marée et... je jette un coup d'oeil machinal au GPS. Ouh là, ça décoiffe: 8 noeuds. Pour rappel, Sir Ernest dans ses bons jours, fait environ six noeuds, mais la plupart du temps c'est plutôt 4.5. 

On avance, on avance. Et la côte défile de plus en plus vite. 10 noeuds, puis 11, puis 12, puis 13.4 ! Oui, Messieurs-Dames, Sir Ernest a passé le canal Chacao à une vitesse record. Nous voyons quelques chalutiers qui marchent en crabe vers la Bahia Carelmapu, des petites barques qui rasent la côte à la recherche des contre-courants. Au milieu du canal, les otaries festoient, survolées par un nuage de goélands piques-assiettes.
A la sortie du Canal, le courant se heurte au vent et lève une mer chaotique très désagréable. 
En route pour... le nord.
Et qu'y a-t-il sur cette route,  à 120 milles à peu-près ? Valdivia. Et, pour une fois que cela tombe bien, la météo nous annonce 34 noeuds de vent pour la nuit de vendredi à samedi. Il n'en faut pas plus pour que nous cherchions refuge dans le Rio Valdivia. Une petite escale à La Estancilla, juste pour passer dire bonjour à Marcelo et Jonathan.

Les 400 derniers milles se sont faits tranquillement, par petit temps, à longer la côte chilienne. Quelques frayeurs dans le brouillard lorsque le radar discerne avec peine une flotille de pêcheurs qui passent, fantomatiques, à quelques longueurs de bateau.

Nous voici donc arrivés à Higuerillas. Une colonie de pélicans a élu domicile sur la digue. Il fait chaud — 25 degrés dans le bateau, végétation méditerranéenne avec lavandes, pins et palmiers. La brume s'est levée en libérant un thermique musclé et la houle de sud contourne le cap pour entrer dans le port. Les bateaux dansent, cela grince et gémit, mais Sir Ernest est fermement arrimé. Nous allons dormir une nuit complète, que demander de plus ?


jeudi 19 mars 2015

Dernière escale chilote

Nous avons passé la nuit à Puerto Abtao, une petite anse-abri à 4 milles seulement du Canal Chacao.  Ce bras de mer qui sépare Chiloé du Continent est parcouru par des courants violents. Impossible de passer "à l'envers" et c'est pourquoi nous attendons la renverse de marée, cet après-midi à 14h, pour passer. 
Dernière escale bucolique entre les petits chalutiers et les fermes marines, à un endroit où l’amplitude de marée et les cris des oiseaux rappellent beaucoup la Bretagne. Des sternes qui piaillent et des goélands qui se disputent partagent l’estran avec une foule de petits rapaces. Sous l’eau, de grosses méduses blanches ressemblent à des fleurs. C’est tranquille et reposant. 

Nous avons quitté Puerto Montt hier matin après quatre jours au Club Nautico Reloncavi. Douches chaudes, lave-linge, wifi. On se ré-habitue vite au luxe.
Puerto Montt est une grande et belle ville cernée par les volcans et la mer, mais dans mon coeur, il n’y a pas photo: c’est Valdivia que je préfère.
Bien sûr, ici aussi on trouve tout. Il suffit de savoir demander et de chercher.

Lundi, nous avons renouvelé notre visa de tourisme. Le Chili étant très proche de la frontière argentine, la plupart des gens remettent le compteur à zéro en faisant une escapade de l’autre côté des Andes. San Carlos de Bariloche, haut lieu argentin du tourisme, n’est qu’à sept heures de bus, ou à cinq heures de voiture.
Nous avons cédé à la paresse et choisi de faire renouveler notre visa par la voie bureaucratique. Une pièce sombre au premier étage du bâtiment rose et vert de la Gobernacíon de Llanquihue, sur la Plaza de Armas. Après une série de démarches toutes chiliennes — faire des photocopies au rez-de-chaussée dans le cagibi du préposé ad-hoc; patienter pendant une une heure dans la queue, à la banque, pour payer les frais de prolongation (200 dollars, convertis en pesos, à payer en effectivo — en espèces); retour au bureau des estranjeros; re-photocopie du récepissé de paiement; re-retour au bureau... Et nous reviendrons mardi, car le gouverneur himself (plus probablement son délégué, je présume) doit signer le précieux petit papier glissé dans notre passeport.


A Puerto Abtao, je vais encore faire un pain avant de partir, puis, tout  à l'heure, cap sur Valparaiso, à 530 nm au nord.

dimanche 15 mars 2015

Vendredi 13

On accuse souvent les marins d'être superstitieux. J'en connais plus d'un qui ne prononcent JAMAIS le nom de l'animal à longues oreilles, qui ne sifflent pas pour appeler le vent, qui n'appareillent pour rien au monde un vendredi. 
Alors un vendredi 13 ! Parlons en.

Notre route vers le nord nous a enfin ramenés à Chiloé, et, après une journée de louvoyage par 15 à 25 noeuds de vent — oui, nous avons fait de la voile ! — nous décidons de nous arrêter à Quemchi.
Un petit port de pêche, une jolie baie, juste ce qu'il nous faut.
La baie de Quemchi. Le bâtiment vert, c'est l'école.
Nous arrivons à la tombée du jour, dans un grain de pluie. Inutile de dire que nos manoeuvres de mouillage sont vite expédiées. J'ai juste une petite hésitation. Dois-je mettre un orin ? Je vous explique: un orin est une corde fine que l'on fixe à l'avant de  l'ancre pour pouvoir remonter celle-ci au cas où elle venait à se coincer. 

Vous me voyez venir: je n'ai pas mis d'orin et me suis vite précipitée à l'abri.

Le lendemain, vendredi 13 donc, nous décidons de partir tôt, afin d'essayer d'arriver à Puerto Montt dans la soirée. Sauf que, au moment de relever l'ancre… impossible. Elle est coincée, bien coincée. L'eau est sombre, on ne voit quasi rien en transparence. On discerne une espèce de masse sombre, comme un gros rocher. L'ancre a dû s'entortiller autour pendant la nuit. 

Marche avant au moteur, marche arrière, lâcher de la chaîne, reprendre de la chaîne, essayer de faire le tour de l'obstacle présumé, se mettre à l'eau en combinaison de plongée pour voir ce qu'il en est sous l'eau ( à 13 degrés !), rien à faire. Nous sommes bel et bien prisonniers.
Même en combi, à 13 degrés, le plongeon matinal est rafraîchissant.
Nous passons à l'étape suivante. Chercher de l'aide. 

Gonfler l'annexe, ramer jusqu'au ponton de l'Armada, leur demander conseil. Il nous suggèrent de nous adresser aux plongeurs qui sont justement à la cale.

La Maria de los Angeles est sur le point d'appareiller, mais son patron est d'accord de venir nous aider. Son frère plongera pour nous aider à nous dégager. Pendant que le plongeur se prépare, Patrizio nous explique que tous les gens d'ici savent qu'il y a une épave coulée à cet endroit de la baie, juste en face de l'école. Non, elle n'est pas balisée, pourquoi faire ?

Artemio se met à l'eau: une grosse combi noire, cagoule, gants de cuisine, palmes, plombs à la taille. Un compresseur ronronne sur le pont arrière du bateau de pêche, auquel est fixé un très long tuyau fixé au détendeur que le plongeur tient dans sa bouche.

C'est bien cela. La chaîne s'est prise sous l'épave. Artemio traîne notre ancre sur le fond pour la dégager, nous pouvons enfin remonter le mouillage. Echange d'adresses, une bouteille de vin en cadeau, le paiement convenu (50'000 pesos), des sourires et des poignées de main. Nous nous quittons en amis.
La Maria de los Angeles s'en va travailler, dans les parcs à moules de l'île voisine.
De gauche à droite: Rodrigo (équipier); Patrizio /capitaine); Artemio (plongeur).

Et nous, nous nous mettons en route pour Puerto Montt, où nous arriverons demain.



Puyuhuapi, le pays des Elfes

Au bout du Canal Puyuhuapi, 4 milles avant l’arrivée, les rives se rétrécissent soudain. C’est la porte d’entrée du pays des Elfes. Des dauphins viennent nous saluer et deux couples de rapaces – des chimangos – survolent le bateau. Il y a du courant, il faut serrer la côte à l’ouest, un phare au sud et un autre au nord marquent les limites du passage. La couleur de l'eau, noire comme de l'huile de vidange, passe sans transition au vert laiteux. 
La Porte
Nous franchissons la porte d'un nouveau territoire. Qu'est-ce qui nous attend ici ? Le pays des Elfes ?
Changement de couleur
Nous sommes venus jusque-là pour acheter du fuel. Car depuis que nous sommes partis de Valdivia, sauf rares exceptions, le vent a toujours été contraire. Alors, quand vent et courant ne se liguent pas pour nous empêcher carrément d’avancer, nous progressons au moteur. 
Et Mister Perkins... il boit, le bougre.

Puyuhuapi s’aligne au fond d'une baie ceinte de montagnes festonnées de plaques de neige. Cela ressemble furieusement à un lac de haute montagne, sauf qu’il n’y a aucun pâturage, juste une forêt en friche, jusqu’en haut. Quand le soleil se couche, la température chute de dix degrés.

En fait de bout du monde, ce village d’environ 500 habitants se situe sur la Carretera Austral, la route qui relie tous les villages isolés de Patagonie chilienne. En été, ce que nous aurions pu prendre pour le pays des Elfes est envahi de touristes qui triplent sa population. Aujourd’hui, tout est fermé, mais les enseignes témoignent de cette intense activité saisonnière. Hospedajes, cabañas, campings, cafeterias, restaurantes, bed&breakfast, locations de VTT et de kayaks: il y en a pour tous les goûts et tous les budgets. Et il y a même une marina ! Un ponton où dorment un gros yacht à moteur et un Bavaria 50 presque neuf. L’électricité fonctionne, un tuyau d’eau est à disposition, mais rien de plus...  La facture, en revanche, est énooorme : 25’000 pesos la nuit à quoi il faut rajouter l’électricité.

Berta nous prend nos amarres et nous dit: “Vous avez de la chance, le camion vient de passer. Il y a plein de frais au magasin”.
Une visite s’impose: pommes, poires, choux, des bananes, quelques carottes, des betteraves, une dizaine de salades fatiguées: le choix n’est pas immense. 
Des touristes retardataires errent dans la rue centrale; 
Cisnes est à 89 km au sud; 
Un bus part tous les matins à six heures pour Coihaique, le chef lieu régional: 4 heures de trajet.

Même touristique, Puyuhuapi reste isolé du monde.

Une vie de chien… chilien.
Ce sont des Allemands qui, en 1935, ont décidé de s’installer ici. Ils ont défriché la forêt, bâti la route, installé une fabrique de tapis et construit la brasserie de bière Hopperdietzel. Quelques grandes maisons de style germanique, au toit en double pente, sont aujourd’hui des hôtels. Comme ailleurs dans tout le sud chilien, les noms de rues rendent hommage aux fondateurs européens.
Au centre du village: la place de jeu.
Après ce premier repérage, nous allons faire le plein de fuel en annexe, à marée haute. A 50 mètres de la station Copec, nous amarrons le dinghy à des touffes d'herbes et trimballons nos 7 bidons avant de les descendre dans le youyou à l'aide d'une corde. Retour au bateau pour vider les bidons dans le réservoir. Et on recommence !
La station-service de Puyuhuapi, sur la Carretera Austral.
Le soir tombe sur les montagnes, un petit vent froid descend du versant à l'ombre. Nous allons manger un saumon grillé au Café Rossbach, seul restaurant encore ouvert du village. Ce soir-là, il est plein à craquer. De touristes allemandes.



En allant à Puyuhuapi

Puyuhuapi ( prononcer pouillou-ouappi) est un endroit qui se mérite. Venant par la mer, il faut monter au nord, tout au bout du bout du Canal Puyuhuapi, un long fjord de 70 milles (140 km) de long. Des montagnes sombres couvertes d’une forêt impénétrable tombent verticalement dans la mer.


Un décor majestueux
Parfois un sommet enneigé ou un glacier suspendu surgit au détour. A mi-chemin de Puyuhuapi, voici Cisnes — les gens d’ici disent sidné. Impossible de s’arrêter là. La baie n’est absolument pas protégée et c’est beaucoup trop profond pour ancrer.


La longue remontée du Canal Puyuhuapi

Nous trouvons refuge pour la nuit dans le Seño Morras, juste au moment où le vent annoncé se met à blanchir le Canal. A l’entrée, une salmonera. Au fond, une grande plage, deux maisons à la cheminée qui fume, une barque bleue et blanche.
Au fond du Seño Morras
Un pêcheur nous hèle: “Prenez-donc le coffre là-bas, à droite. On l’a installé pour les yates. Il va faire mauvais, accrochez-vous aux arbres !”

Bientôt il fait nuit, la pluie tombe du ciel comme dans les films américains, le bateau bien amarré est secoué par les rafales de vent.

Le lendemain matin, Julio vient nous rendre visite. La quarantaine, une bouille toute ronde et des yeux pétillants, Julio se raconte:  il travaille comme plongeur pour la salmonera de la baie voisine. Son boulot: descendre au fond des nasses — il plonge à 20 mètres avec un compresseur et un simple détendeur au bout d'un long tuyau — pour ramasser les poissons morts. De 40’000 à 50’000 bêtes se bousculent dans ces enclos marins, et les dueños — les patrons, sont pointilleux: il faut noter précisément le nombre d’animaux morts. En fait de saumons, ici on élève des truites. Julio nous apprend que les poissons d'ici sont exportés dans la Communauté européenne. Alors... le saumon et la truite estampillés “du Pacifique” que nous achetons à Carrefour ont peut-être grandi ici, dans le Canal Puyuhuapi. Et les patrons des élevages sont Norvégiens. 
Parce qu’ici cela ressemble à la Norvège, non ? explique Julio en riant.

Plongeur dans une salmonera est un boulot difficile et dangereux, mais très bien payé: 1500 dollars pour 15 jours de travail. Julio travaille 15 jours de suite puis il a droit à 10 jours de congé qu’il passe à Cisnes avec sa famille — un fils et une fille de 15 et 21 ans, 9 neveux et nièces. Apparemment Julio passe aussi beaucoup de temps sur son ordinateur: il adore Facebook, a des amis dans le monde entier, et nous demande de lui copier des films et de la musique sur sa clé usb.

Julio Ramon Ruiz Santana, plongeur de salmonera.


samedi 14 mars 2015

De Chiloé à la Bahia Pink... et retour.


Autant vous le dire tout de suite, sans tourner autour du pot.  Nous avons dû faire demi-tour. Je vous rassure: pas d’avarie, pas de problèmes de santé, tout va bien à bord.
Juste une bête histoire de calendrier et de vents contraires.

A Valdivia, nous avons pris du retard sur notre  planning à cause de nos ennuis de moteur. Puis le vent s’est mis à souffler du sud. Sans discontinuer. Ce qui, quand on est un voilier et que l’on veut aller au sud, pose un problème, en particulier lorsque le vent est fort et la mer creusée. Puis nous avons dû attendre une fenêtre — nous appelons fenêtre le temps qu’il nous faut pour franchir une distance donnée entre deux abris — pour passer la Boca del Guafo. Puis nous avons avancé coûte que coûte, au moteur contre le vent, pour arriver jusqu’à la Bahia Pink.
Au moteur: contre le vent, ou par calme plat.
Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais pour nous qui descendons vers le sud de la Patagonie, c’est l’endroit où nous quittons l’abri des Canaux pour une sortie en mer ouverte d’environ 150 milles jusqu’au Golfo des Penas.
Ha ! Le Golfe des Peines, le bien nommé !
Ici, les fonds marins remontent brutalement de plusieurs milliers de mètres à quelques dizaines de mètres de profondeur. La conséquence, c’est qu’en cas de mauvais temps, les vagues déferlent dangereusement. Totalement déconseillé.

Sir Ernest n’avance pas vite et il lui faut une fenêtre de 30 heures pour franchir ces 150 milles. Et cette fenêtre nous a été claquée au visage par les Dieux des vents patagons. “Revenez une autre fois, voyageurs trop pressés. Revenez quand vous aurez du temps !”.

En effet, nous avons fait nos petits calculs: attendre une fenêtre hypothétique — rien à l’horizon des 10 prochains jours + descendre le reste de la Patagonie + faire le tour jusqu’à Mar del Plata en Argentine... Impossible de caser toute cette route avant mi-avril, sachant qu’on ne navigue que de jour, que les jours raccourcissent, que les coups de vent vont nous obliger à des escales imprévues et que Thibault doit rentrer en Europe à ce moment-là.
Un bateau de pêche met un peu de couleur dans la grisaille.
Les larmes aux yeux et le moral en berne, nous avons fait demi-tour.

Et que croyez-vous qu’il advint ? Mais oui, vous avez tout juste ! Le vent a tourné au nord. Trop fort pour nous permettre de passer le Golfe des Peines, mais toutefois bien contrariant pour rebrousser chemin.

Voici donc, en images, le récit de notre incursion en Patagonie. Magique, magnifique, grandiose. On se sent tout petit et drôlement privilégié, de naviguer dans ces eaux.

22 février — On entre en Patagonie après la Boca del Guafo. Mouillage à la Caleta Valverde.
Caleta Valverde
Un dédale de petites iles et d'îlots. Par où on passe, dis ?
23 février — Route au sud à travers le dédale des Canal Perez Norte et Sur.  Mouillage à Puerto Americano, lagon intérieur de toute beauté.

Puerto Americano, l'espace et le silence.
24 février — On tente d’avancer, le vent est trop fort, on doit faire demi-tour. Mouillage à la Caleta Esteban. Deux petits bateaux de pêche y ont trouvé refuge, et nous sommes surpris d’être accueillis par Ruben, l’ermite bûcheron qui vit ici. Il nous fait les honneurs de sa maison: une cabane pleine de courants d’air, dans laquelle il fait une chaleur suffocante. Son potager ronronne, il y cuit une mixture peu ragoûtante qu’il destine à ses chiens. Dit-il. Nous signons son livre d’or — quelques feuilles volantes où les yates de passage ont inscrit leur nom et la date de leur visite.
Plus tard, Ruben nous apporte un poisson. Nous lui offrons un paquet de café et deux citrons en échange. Il a fait une belle affaire, il est ravi et nous sourit de toute sa bouche édentée.
Caleta Esteban, excellent abri. Dehors, cela souffle tellement que nous avons dû rebrousser chemin.
25.2 — Nous pouvons enfin descendre ce fameux canal Errazuríz et jetons l’ancre, après plus de 45 milles, dans la Caleta Jacqueline. Jolie plage de sable blanc, une cascade d’eau fraîche dans le coin nord-est... sans les nuées de taons qui nous assaillent, on serait au paradis.
Une cascade d'eau douce pour refaire les pleins.
26.2 — Encore une grosse journée, nous touchons au but: la Bahia Pink. En route nous croisons deux voiliers qui ont pu profiter du vent du sud pour franchir le Golfo de Penas. Nous passons la nuit à la Caleta Millabú, au fond d’un fjord majestueux long de deux milles. Il nous faut manoeuvrer plusieurs fois avant de trouver le bon coin où être bien accrochés. Finalement, nous ne serons pas seuls: deux navires de l’Armada de Chile viennent aussi s’installer là pour la nuit. Pas un cri d’oiseau, rien que la cascade qui tombe de la montagne avec fracas.
Cette Caleta Millabú a un petit air connu: on se croirait dans les Alpes.
27.2 — Nous partons au lever du jour pour tenter le passage vers le Golfo de Penas. Après vingt milles de navigation nous sommes cueillis par 25 noeuds de vent de sud et une houle de 4 mètres. Dans ces conditions, étant données les capacités de Sir Ernest, nous ne trouverons pas d’abri avant l’arrivée du coup de vent de nord. Demi-tour. La porte de la Patagonie vient de nous claquer au nez.
Bahia Pink, le calme plat à l'intérieur. Mais 25 noeuds de sud au large.
28 février et 1er mars — Deux nuits arc-boutés dans le coup de vent, dans la Caleta Guianín, sous le vent de l’Isla Larga, toujours dans la Bahia Pink. Il y a une salmonera plus loin, dont les lumières brillent toute la nuit.
La salmonera de la Caleta Guianín, le matin après le coup de vent. 
2 mars — Nous faisons la route à l’envers. L’abri que nous visons est déjà occupé, des bout’s dans tous les sens barrant l’accès de la caleta. Nous nous approchons: les propriétaires se terrent dans le cockpit, au contraire de toutes les règles de courtoisie locale entre voiliers de passage. On se croirait à Minorque. Détestable. Mais nous découvrons une caleta sans nom, et faisons la connaissance de d'Andrius et Jurgita, Lithuaniens à bord de Taura. 
Taura, croisé une première fois vers la Bahia Pink.
3 mars — Caleta Nuevo. Nous nous y amarrons sérieusement car un nouveau coup de vent est annoncé. Difficile d’y croire, le ciel est clair, il y a du soleil et pas un louf. Mais... le baromètre est en chute libre. En attendant, nous refaisons les pleins d’eau à la cascade.
Si, si, le baromètre est en chute libre. 
5 mars — Le besoin de fuel se fait sentir après tous ces milles contre le vent. Nous allons tenter notre chance à Puerto Aguirre, un village de pêcheurs. Hélas: Petroleo ? No hay ! La bomba se rompió — Du fuel ? Y'en a pas. Enfin, plus exactement, je ne peux pas vous en servir, car la pompe est cassée. 
Il y a bien un bateau qui devrait venir la semaine prochaine pour réparer. Mais rien n’est sûr.  
Puerto Aguirre
 Nous allons donc tenter notre chance 70 milles plus loin, au nord-est. En route pour Puyuhuapi.