mercredi 30 octobre 2013

Paysages

Il y a cinq ans, au mois de mai, en arrivant aux Açores depuis les Antilles avec Sir Ernest, j'ai fait la connaissance de Camille Parrain. Cette géographe était en train d'effectuer  le travail de terrain de sa thèse de doctorat. Son sujet encore un peu vague à l'époque tournait autour des paysages marins. Elle  voulait savoir comment les marins se représentent l'espace et venait de traverser l'Atlantique. A Horta, elle arpentait les pontons et avait établi son laboratoire de recherche  "Chez Peter" — où, en mai, il y a du monde ! afin d'interroger le maximum de personnes.

C'est vrai ça. La mer, c'est toujours pareil, non ? Une grande étendue d'eau bleue plus ou moins agitée ? Alors parler de paysages au pluriel peut paraître étrange aux Terriens.
Au large de la Mauritanie
En y réfléchissant, ces paysages correspondent aux zones des bulletins météo que RFI (Radio France Internationale) diffusait à l'époque quotidiennement. Ces paysages sont loin de n'être que visuels. Ils sont aussi kinesthésiques (les mouvements du bateau, la température qu'il fait), olfactifs, auditifs (le bruit du bateau, de la mer et du vent) et mentaux (la position sur la carte, les fonds marins, la distance aux côtes).

Alors, laissez moi vous raconter les paysages marins que je connais.

En Méditerranée

La Méditerranée est un espace clos, où on se trouve rarement à plus de deux ou trois jours de navigation d'une côte. Elle se caractérise par ses odeurs puissantes, son caractère capricieux — le vent se lève brusquement  sans signe annonciateur. Le bleu soutenu, le blanc, l'ocre sont les couleurs dominantes et la lumière est très vive. La Méditerranée un paysage marin très peuplé:  on n'arrête pas d'y croiser du monde (cargos, pétroliers, yachts à moteur, voiliers, chalutiers). 
Mistral à Port Vendres

Vers Gibraltar

Le détroit de Gibraltar et son prolongement composent presque un espace urbain. Notamment à cause de ces voies de navigation, les "rails" que les cargos et les pétroliers sont obligés de suivre. Rail montant, rail descendant, les navires n'ont pas d'autre choix que de suivre cette route et de s'annoncer auprès  des contrôleurs du trafic maritime.  Quand nous y sommes passés cet été, l'officier d'un cargo s'est fait vertement engueuler par la dame qui gérait la vacation car il ne s'était pas annoncé dans les temps.
Le détroit ne fait que 10 milles (20km) de large, et même si on voit rarement la côte d'en face à cause de la brume et de la pollution, on entend les sirènes mugir. Ici la mer est une espèce de torrent d'eau vive, à cause des courants et des vents qui accélèrent furieusement à la sortie. La différence de température entre l'Atlantique et la Méditerranée est très nette. Toutes les nuances de bleu gris s'y conjuguent, associées aux verts, bruns et noirs.
Détroit de Gibraltar
Entre Gibraltar et les Canaries, la côte est toujours présente à l'esprit: la rive atlantique du Maroc est une longue plage de sable sur laquelle il ne faut pas être drossé en cas de mauvais temps. On la surveille du coin de l'oeil sur la carte et on lui laisse de la marge. L'espace entre Gibraltar et les Canaries est une espèce de patchwork multiforme, avec ses différents archipels qui s'égrènent le long de la côte africaine (Madère, Canaries, Cap vert). Territoire de pèche des Marocains et des Mauritaniens, on y croise des chalutiers de toutes tailles et aussi (ça c'est moins drôle) d'immenses filets dérivants.

La traversée

Entre les Canaries et les Antilles le paysage va changer trois fois. Au départ des Canaries, pendant une semaine à 10 jours, c'est une zone de vent fort et de grosses vagues. Le paysage est rude, escarpé, abrupt. Les couleurs dominantes sont le vert, le gris, le blanc du sommet des vagues, le bleu marine. On pourrait se croire à la montagne, d'autant que le bateau glisse en dévalant les talus. La mer est toute petite: l'horizon est rétréci par la hauteur de la houle. Dans cette zone de "mer agitée à forte ou très forte", on voit peu d'animaux marins.

Peu à peu, cependant, la mer va se calmer, lorsque nous entrons dans la zone qui s'appelait il y a quelques années Alizés ouest. Ici la mer s'aplanit, l'horizon s'ouvre et devient immense. C'est un paysage où la mer joue avec le ciel: des grains (de courtes périodes de fortes pluies) se succèdent, les rideaux noirs passent à gauche, à droite, et parfois juste au-dessus de nous. Les couleurs s'intensifient: bleu cobalt, violet, rouge, noir.

Enfin, la dernière partie de la traversée, en arrivant aux Antilles. A chaque fois, le vent est tombé complètement environ 200 milles avant l'arrivée. La mer est calme, de longues ondulations soulèvent le bateau et la mer est immense. Il n'y a plus de bruit. La grande profondeur sous la quille donne le vertige lorsqu'on se baigne dans une eau plus calme que le lac.


J'ai repris contact il y a quelques temps avec Camille: elle a soutenu sa thèse: Territorialisation des espaces océaniques hauturiers. L'apport de la navigation à voile dans l'Océan atlantique. (Université de la Rochelle). L'article qui résume son travail a été publié début 2012 dans la revue EchoGéo.

Joya

lundi 28 octobre 2013

La peur du danger potentiel



   La plupart des gens à qui je parle du voyage ne connaissent pas grand-chose à la voile. Tout le monde a vu Titanic, d’accord, mais il faut avouer que Sir Ernest n’a pas tout à fait la même envergure. Alors y a-t-il beaucoup de risques en naviguant ? Oubliez les clichés hollywoodiens ou les croisières que vous avez pu faire durant des vacances.
Il y a deux faits qui changent tout.


   Premièrement, naviguer est beaucoup moins dangereux que ce que l’on croit. Évidemment qu’il y a un risque de rencontrer un cargo (un iceberg en Equateur me paraît moins probable…). Évidemment qu’une baleine pourrait hypothétiquement détruire notre coque ou une tempête pourrait endommager gravement le bateau. Mais, avec des « si », on mettrait Paris en bouteille. Avec des « si », on ne partirait plus du tout. Et puis, même dans les pires situations, le danger de mort est très faible. Alors, comme vous prenez la voiture tous les jours pour vous rendre au travail, nous devons accepter le risque et nous lancer dans le grand bain. Littéralement.


   La deuxième chose qui change tout, c’est le fait que nous ne pouvons compter que sur nous-même. Je crois que c’est surtout ça qui fait peur. Sur un paquebot, nous remettons notre vie entre les mains du capitaine et de l’équipage, même sans nous en rendre compte. Lorsque nous sommes trois sur un voilier de onze mètres de longs pour trois de large, il faut se faire confiance. S’il y a un blessé ou un problème, nous ne pouvons pas appeler l’ambulance pour nous aider. Non, un hélicoptère ne viendra pas nous chercher au milieu de l’océan. Nous devons nous débrouiller du mieux que nous pouvons. C’est en même temps assez angoissant et extrêmement formateur. Nous ne pouvons pas nous défiler. Mes petites mains d’adolescente de quinze ans deviennent parfois vitales. C’est tout simplement extraordinaire. Je crois que c’est aussi pour ça que j’adore la voile. Tout le monde a sa place et tout le monde est utile. Je trouve ça tellement gratifiant !

   Alors, oui, il peut y avoir des risques. Mais je ne m’en fais vraiment pas. Après tout, il y a un risque dans chaque pas. Et puis, la voile nous apporte tellement que cela vaut vraiment la peine. A mes yeux, c’est mille fois mieux qu’une croisière sur le Titanic.
                                                                                                                                                  Mahaut

dimanche 27 octobre 2013

Vu d'en haut

Ce matin, changement d'heure, vent soutenu et belle lumière, je suis allée marcher un peu.



Histoire de pouvoir vous montrer à quoi ressemble San Sebastian de La Gomera vue d'en haut. Les Gomeranais (les Gomeraniens ?) l'appellent aussi La Villa — la ville. Ce qui dit bien ce que cela veut dire.  San Sebastian est la capitale de l'île, le port par lequel transitent tout ce dont les habitants ont besoin... car vue la taille de la piste d'atterrissage et celle des avions, il vaut mieux ne pas trop compter dessus. D'ailleurs, la construction de l'aéroport s'est terminée en... 1999 !
Lequel aéroport, soit dit en passant, se trouve deux vallées plus loin, à 33 km — ou une heure de route tortillonnante.


Christophe Colomb s'est arrêté ici avant de traverser l'Atlantique pour la première fois. Il a largué les amarres le 6 septembre 1492. Peu de gens se risquent aujourd'hui à traverser à cette période de l'année (deux tempêtes tropicales et deux cyclones en septembre 2013, rien que ça !).
Colomb n'avait ni nos connaissances ni nos réticences au sujet de la météo. Lui, il avait à affronter des monstres imaginaires prêts à l'engloutir de l'autre côté de l'horizon, ou les mutineries et le scorbut tout à fait réels de ses équipages. Il s'est donc lancé sur l'océan et il a eu de la chance. Doublement même, puisqu'il a fait la traversée de retour entre janvier et mars 1493, lorsque les tempêtes de l'Atlantique nord sont au top de leur férocité. Cela n'a pas dû être une partie de plaisir, même pour les imposantes caravelles de l'époque.

San Sebastian est construite au niveau de la mer, dans un barranco, le lit d'un torrent. De part et d'autre, des collines abruptes. Ce matin, je suis allée tout là haut du côté nord est:



Et un de ces jours, j'irai au pied de la statue de la Vierge qui est sur la colline sud:



Au retour, je me suis occupée du bateau: Mister Perkins a bien démarré après ses trois mois de vacances, yees !
De nouveaux voiliers sont arrivés aujourd'hui, un Danois, un Suédois, un Japonais et des Français. Le port se remplit.  Et comme il y a un peu de ressac, les ferrys chantent. Oui c'est vrai, ils chantent! Les grincements des rampes métalliques produisent des sons mélodieux, quatre notes douces...
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

Joya

samedi 26 octobre 2013

Retour au bateau

Me voici de retour à San Sebastian de La Gomera. C'est dans le port de cette petite ville d'environ 8000  habitants que Sir Ernest a sagement attendu mon retour pendant trois mois. Dans mes deux gros sacs bien lourds, quelques t-shirts et quelques pulls, mais surtout du matériel pour le bateau. Toutes ces choses qui figuraient sur les listes systématiquement cochées et recommencées.


Parce que La Gomera c'est très beau et très sympa, mais ce n'est pas un bon spot pour équiper et préparer un bateau. Il y a bien une ferreteria (à côté du marché et du supermercado) qui vend pas mal de trucs, mais pas de shipschandler, ce lieu de perdition où les navigateurs dépensent leur sous. Donc ce qui manquait,  ou qui pourrait éventuellement manquer, je l'ai apporté en avion.

Comme dans ce jeu de mémoire auquel on se livre pendant les longs trajets en voiture avec de jeunes enfants... dans ma valise il y avait:


  • les objets précieux et vitaux que sont les ordis, l'appareil photo, l'Ipod;
  • des mètres et des mètres de dyneema, ce cordage extraordinaire plus solide que l'acier;
  • des livres: les indispensables, comme les guides d'identification des cétacés et des oiseaux de mer;  d'autres aussi — le dernier Gavalda, la bio de Françoise Giroud, le dernier Russel Banks... (mais où vais-je les mettre, les étagères sont bourrées à craquer ?);
  • des cartes papier pour Panama et le Pacifique ... parce que c'est un peu risqué de se fier exclusivement aux fichiers électroniques;
  • d'autres cahiers archi-précieux: celui qui contient les références dont j'aurai besoin pour télécharger les fichiers météo avec l'Iridium, le téléphone satellite; celui dans lequel j'ai noté les procédures compliqués pour Panama, Galapagos, Chili;  
  • des pièces de rechange, des colles spéciales, des outils, un pantalon de ciré...

Maintenant j'ai à peu près 15 jours devant moi pour finir de préparer le bateau, tout en gardant à l'oeil l'évolution de la météo sur l'Atlantique. Ce sont surtout les ondes tropicales, ces incubateurs à cyclones, qui m'inquiètent. Elles naissent aux environs du Cap Vert puis prennent de l'élan à travers l'océan. Quand elles décident de devenir méchantes, elles se transforment en dépression tropicale, puis en tempête tropicale, qui parfois s'aggrave en devenant un cyclone.
Alors moi, je scrute les bulletins météo, en espérant qu'elles vont disparaître au mois de novembre !

                                             Part 2 : General synopsis, Saturday 26 at 00 UTC
                                            Low 958 56N36W, moving east and expected 960 56N18W by 27/00 UTC,
                                            then moving northeast and expected 965 58N10W by 27/12 UTC.
                                            Associated disturbance over ROMEO and CHARCOT, moving east and
                                            expected over the Bay of Biscay by 27/00 UTC.
                                           Low 1011 40N57W, moving northeast and deepening, 

                                           expected 1003 45N38W by 27/00 UTC, 
                                           then 991 48N22W by 27/12 UTC. 
                                          Associated trough extending southwestwards.
                                           High 1027 32N33W, slow-moving.
                                           Tropical wave along 39 West south of 14 north, moving west 15 kts.
                                           ITCZ along 11N15W 08N23W 09N31W 11N39W 08N48W 10N58W.

jeudi 17 octobre 2013

Et l'école dans tout ça ?




Lorsque j'annonce que je vais partir en voilier pendant quatre mois dans le Pacifique, les réactions sont toujours un peu les mêmes.
Premièrement, l'incrédulité : « Wow ! Sérieusement ? Mais t'es sûre ? »
Et puis, tout le monde me parle de l'école. Il y a d'abord ceux qui pensent que je ne devrais pas mettre en danger mes études pour un projet aussi fou et peu conventionnel. Et puis, il y a ceux qui soutiennent que le projet est fabuleux et que, après tout, le rêve vient avant l'école.

Il est clair que je préfère les secondes réactions. Moi aussi je pense que la vie est plus importante que le travail et qu'accomplir ses rêves fait partie intégrante de la vie. Cependant, comme j'ai plutôt tendance à vouloir le beurre et l'argent du beurre, j'aimerais continuer mes études tout en vivant mon rêve.

Il a donc fallu faire une demande à mon collège (André-Chavanne). J'ai écrit un dossier et Joya (oui, oui, j'appelle ma mère par son prénom) a formulé la demande officielle de congé. Ensuite, on a croisé les doigts et attendu. Ils pouvaient répondre de deux façons : soit ils estimaient que mon projet était idiot et que les études étaient plus importantes que tout le reste soit ils m'accordaient le congé. S'ils me le refusaient, j'aurais été obligée de doubler, puisqu'après en avoir longuement discuté, j'ai décidé de faire ce voyage quoi qu'il arrive.



J'en ai parlé avec ma prof de classe qui m'a tout de suite soutenue très fortement. Même si elle n'avait pas de poids dans la décision finale, c'était déjà un bon point. Et puis, j'ai rencontré mon doyen responsable. Quel stress ! Vous n'imaginez même pas. Je tremblais et je claquais des dents en attendant que ce soit l'heure du rendez-vous (il faisait aussi un peu froid, et le froid et le stress, ça ne fait pas un bon cocktail). Mais il a été très gentil et il m'a expliqué que la décision n'était pas entre les mains du directeur mais dans celles du directeur des établissements du post-obligatoire (le big chef, en gros), parce que le congé était trop « exceptionnel ». Mais au moins, le conseil d'établissement me soutenait et le directeur avait envoyé un préavis favorable à la direction générale. Donc, j'étais toujours dans le flou, mais j'étais déjà un peu rassurée. Nous avons donc encore attendu. Une semaine... deux semaines... trois semaines...

J'ai finalement croisé le doyen dans les couloirs et il m'a dit d'aller parler au directeur. J'ai pris rendez-vous et je lui ai demandé des nouvelles. Lui aussi a été super gentil et il m'a dit qu'il n'avait aucune réponse officielle et écrite mais qu'il avait la confirmation orale que tout était bon.
« Je n'ai pas besoin de doubler ! », je me suis dit. Ensuite j'ai sauté un peu partout dans les couloirs et j'ai eu du mal à décrisper ma mâchoire, tant je souriais.

Vendredi dernier, j'ai reçu la confirmation écrite que mon congé est accordé. Pour être clair, cela veut dire que je vais faire toutes les épreuves du premier semestre et celles que je peux faire dès que je reviens. J'aurai donc beaucoup moins de notes pour le deuxième semestre. J'aurai, comme tout le monde, une moyenne du premier et deuxième semestre et, si elle est plus grande que 4 (sur 6), je passe l'année.
Évidemment, je vais travailler sur le bateau, je vais faire tout le programme de mon côté et, même si je vais probablement avoir quelques mauvaises notes, il ne devrait pas y avoir de problème.
Et puis, bosser un peu plus en échange d'un voyage comme ça, ça vaut le coup, non ?

mardi 15 octobre 2013

Devant l'étrave



Allons il faut partir
N'emporter que son coeur 
Et n'emporter que lui
Et aller voir ailleurs
                                                      J. Brel




Il meurt lentement 
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n'écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux...

Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement 
celui qui devient esclave de l'habitude,
refaisant chaque jour les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
ne se risque jamais à changer 
la couleur de ses vêtements
ou qui ne parle jamais à un inconnu.
              
Il meurt lentement 
celui qui évite la passion 
et son tourbillon d'émotions,
celles qui redonnent la lumière dans les yeux 
et réparent les coeurs blessés.

Il meurt lentement 
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux 
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques 
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie, 
n'a fui les conseils sensés.

Vis maintenant !
Risque-toi aujourd'hui !
Agis tout de suite !
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d'être heureux !
                                                         
                                                                                             Martha Medeiros




Life is not a spectator sport, we're not born to go bubble-wrapped from cradle to grave, we're meant to be built and bruised and burnt and battered and bolstered all over again, and again. 
We're put here to lick the rainbow popsicle of life and taste it all: the echo of our laughter, the salt of our tears, the swelling and the breaking of our hearts, the joy of love and the emptiness of loss, to make things, to make love, and to make history. 
And then to walk to our graves with a swagger, all used up, having served our purpose and time, and to hug death and say :  let's dance !
                                                                                         
                                                        The Plan Today

Ce qui compte, c'est le chemin


"Mais finalement, est-ce que ça ne serait pas plus simple pour toi d'aller aux Galapagos, à l'ìle de Pâques et en Patagonie en avion, éventuellement de louer un bateau sur place ?"
Thao a raison, mille fois raison. Partir avec son propre bateau est totalement déraisonnable, puisque aujourd'hui on peut acheter un billet d'avion pour n'importe quel Pétaouchnok en quelques clics de souris.

Oui, mais non.

Car la vraie question est celle-ci:
Qu'est ce qui compte, dans le voyage ? La destination, les beaux paysages, le dépaysement ? Ou le voyage en soi ?

Pour moi, clairement, c'est le processus qui m'importe.

Et dans le processus il y a ce lien particulier que j'ai tissé avec Sir Ernest. Je connais des marins pour lesquels le bateau est et demeure un véhicule. Il changent souvent de voilier, au gré de leurs envies et des opportunités. Je connais d'autres marins, pour lesquels le bateau devient un personnage à part entière de leur vie, à la fois abri et véhicule, confident, compagnon, ou fauteur de troubles et adversaire.
Pour moi, le bateau est davantage un ami qu'un abri, presque un troisième enfant. Avec ses qualités et ses défauts, un personnage dont il faut prendre mieux soin que de soi-même, parce que là-bas, sur la mer, quand on sera à mille milles de toute terre, la seule chose sur laquelle on pourra compter, ce sera lui.

Ce n'est pas la destination qui compte, mais le voyage, disent les gitans.

Alors oui, mille fois oui.

Jouer avec l'idée, la tourner et la retourner dans la tête avant de la verbaliser. Prononcer un soir, à table, la phrase tant de fois remâchée en silence ... et si on allait dans le Pacifique avec Sir Ernest ?
et regarder, le coeur battant, l'effet qu'elle produit sur les autres personnes présentes.

Faire la liste des choses à faire. S'y mettre un jour, retrousser ses manches, commencer à préparer le bateau. Démonter, poncer, installer, construire.

Préparer la route du voyage, aussi. Récolter des informations, lire des blogs, surfer sur internet, étudier les cartes, décrocher celles qui sont aux murs depuis des années, commander celles qui manquent, trouver des sites météo, des sites de courants, s'inquiéter de savoir si on sera dans une année Niño ou Niña...

Essayer de rester zen, ne pas paniquer lorsque le cerveau décide de faire le malin à aligner les et si... et si...

Acheter des trucs, du matériel, de l'équipement, faire des listes pour ne rien oublier. Perdre les listes et recommencer. Se tromper: acheter par exemple une manille de 1,3 kg  parce que trop fort n'a jamais manqué !

Et enfin, plusieurs mois après (parfois, pour certains, ces mois deviennent des années), larguer les amarres. Et commencer à naviguer, aligner des milles d'océan pour parvenir à destination. Prendre le temps qu'il faut puisque le bateau ne peut pas aller plus vite que ça.

Aucun atterrissage en avion ne pourra rivaliser avec la lente, l'interminable approche d'une terre depuis la mer. Ces heures de patience entre le moment où l'on discerne enfin la côte, celles où l'on sort les jumelles pour étudier l'entrée du port ou du mouillage, et celle où le bateau s'immobilise après deux jours ... ou quatre semaines de traversée.

C'est ça, le voyage. Ce ne sont pas des vacances. C'est une autre vie.


dimanche 13 octobre 2013


Allez, c'est décidé. On repart !




En route pour le Pacifique ! Nous allons faire découvrir à Sir Ernest les eaux et les vents du Pacifique. Le projet est de faire le tour de l'Amérique du Sud en deux étapes. La première, en 2013-2014, va nous  emmener au sud du Chili.
C'est à dire que Sir Ernest va d'abord retraverser l'Atlantique (pour la 7e fois !), avant Panama et le passage du fameux Canal, puis le sud, direction les Galapagos, l'île de Pâques et finalement Valdivia à la porte des canaux de Patagonie. Une longue route un peu hors des sentiers battus, pas facile car elle se fera, en tous cas entre Panama et l'île de Pâques, contre vents et courants. Il nous faudra être patientes... car Sir Ernest aime mieux se dandiner au vent arrière que prendre des embruns dans l'étrave !

Remettre le bateau à l'eau après l'hiver a demandé une bonne quantité d'huile de coude, même si Sir Ermest, en vrai baroudeur qu'il est, est toujours prêt à prendre la mer.

Alors voici la liste des derniers travaux:

  • Une révision totale du moteur, avec nouveau démarreur, nouvelle pompe à injection, nouvelle tuyauterie, nouveaux filtres, bref... Mister Perkins-le-moteur a été bichonné et soigné.
  • Une nouvelle belle robe pour Sir Ernest. Des heures de ponçage pendant l'hiver sous le mistral pour ramener la coque au gel-coat; ensuite l'application de l'enduit epoxy; puis l'antifouling avant la mise à l'eau tant méritée... des heures et des heures de boulot ingrat pour un résultat tout à fait satisfaisant.
  • Installation d'une bouteille de gaz de 13 litres car les bouteilles bleues camping gaz ne se rechargent pas dans le Pacifique... et que nous aurons besoin d'autonomie.
  • Montage d'un chauffage au fuel puisque nous allons aussi naviguer dans les eaux glacées de la Patagonie chilienne.
  • Installation d'un anémomètre. Le modernisme nous rattrape.
Une fois le bateau à l'eau, nous n'avons pas traîné pour profiter d'une bonne fenêtre météo. Première étape de presque 500 milles jusqu'à Cartagena, en Espagne. Nous adorons cette ville, que nous connaissons bien maintenant pour y être allés plusieurs fois. Comme c'est un des seuls vrais abris naturels de l'ouest de la Méditerranée, on y trouve beaucoup de vestiges romains. Et d'ailleurs, le magnifique musée d'archéologie sous-marine vaut vraiment le détour. Le port de Cartagena est aujourd'hui encore le lieu d'une importante activité militaire, mais celle-ci n'est pas du tout préjudiciable à l'ambiance de la ville. C'est une "vraie" ville, qui ne dépend pas du tourisme pour vivre. Chaque été,   la Plaza del Ajuntamento fait la part belle à la musique, il y a des concerts tous les soirs ou presque, certains gratuits, d'autres payants. Si touristes il y a, ce sont d'abord des Espagnols.



Après Cartagena, destination Càdiz, à droite en sortant du détroit de Gibraltar. Pas d'arrêt à Gib' cette fois-ci. Nous avons passé le détroit vers midi, sous voile dans de bonnes conditions de vent et de courant. A la sortie, Sir Ernest a été cueilli par l'accélération de Tarifa: le vent est passé en l'espace d'un demi-mille de force 2 à force 6,  mer hachée par le courant, rafales.

Càdiz la belle Andalouse nous a beaucoup plu. La marina est à 20 minutes de marche de la ville, juste bien pour se dégourdir les jambes. Et c'est là qu'on apprécie le caddie Ikea à roulettes pour les courses et la recharge de bonbonne de gaz ! Le supermarché livre les courses au ponton et comme à Cartagena, il ne faut pas traîner si on ne veut pas que la camionnette soit là avant notre retour au bateau.

Nous ne nous sommes pas attardés à Càdiz, juste deux nuits avant de repartir pour les 800 milles de traversée vers les Canaries. Pas mal de moteur avant de toucher du vent frais en arrivant aux Canaries. La mer était bien blanche dans l'accélération entre Tenerife et La Gomera,  renforçant un nordet déjà soutenu. Sous trinquette seule Sir Ernest était tout fringuant.


Agrandir le plan

A l'ouest des Canaries, la Gomera
Nous avons choisi d'atterrir à la Gomera, escale plébiscitée par les navigateurs pour l'accueil de ses habitants et la beauté du site. C'est une petite île ronde et très montagneuse. Son sommet est couvert d'une forêt primaire (les Laurisilves) qui remonte au Tertiaire. Et de ce sommet à 1500 mètres descendent des vallées abruptes et vertigineuses qui s'abîment dans la mer. En haut, la forêt, sombre, dense, rafraîchissante, souvent noyée dans la brume. Sur les flancs des vallées, des champs en terrasses qui, au mois d'août, sont jaunes, desséchés, brûlés et pelés par le soleil. La terre est rouge, la poussière volcanique noire et grise roule sous nos pas. Sortis de la forêt, pas un gramme d'ombre, sauf, parfois, un palmier solitaire perché sur un piton rocheux. Il faut descendre plus bas, près du niveau de la mer, pour trouver la végétation tropicale — bananiers, manguiers, papayers, cultures maraîchères. Vues de loin les bananeraies sont d'immenses boîtes ocres. De près, on s'aperçoit que ce sont des serres composées d'une infinité de toiles rectangulaires cousues ensemble, qui protègent les plantations du soleil, du vent et des parasites.
La Gomera est un paradis pour les randonneurs. Du dénivelé, des sentiers escarpés, rien que du bon pour les Suisses que nous sommes... croyions-nous. Ah, gare aux orgueilleux !
Nous nous sommes perdus, déshydratés, épuisés en essayant de suivre un sentier qui n'existait que sur le papier de la carte de l'Office du tourisme mais se perdait rapidement dans la falaise. Et nous voici au milieu des cactus, sur des corniches minuscules même pas empruntées par des chèvres, à essayer de descendre dans la vallée tout là-bas en bas.



Voici la randonnée que nous voulions faire....
                                   Chipude - Erque - Erquito - Arguayoda - La Rajita - La Dama
Características:
Sendero lineal.
Longitud total: 13,8 Km.
Tiempo estimado total: 4h 35m.
Desnivel ascenso acumulado: 627 m.
Desnivel descenso acumulado: 1472 m.



Dificultad: Media ---- P
as d'accord du tout !!! Vous voyez le passage en violet-bleu à pic ?!


Après une demi-heure de descente périlleuse nous avons rebroussé chemin. Pour finalement faire tout le tour de la vallée, perdant le sentier pour en retrouver un autre, ou pas...(euh... au milieu d'un champ de broussailles desséchées et de roches acérées on voit tout à coup un petit empilement de cailloux et on se dit que c'est peut-être par là !). Le tout par 35 degrés sans ombre. Une aventure qui s'est heureusement bien terminée: nous avons rejoint Erquito après 6 heures de marche, où nous avons découvert, oh miracle, une source d'eau claire et fraîche.
Bref, la morale de cette histoire c'est qu'il n'est pas toujours évident d'interpréter les cartes et qu'il faut prendre assez à boire !
Deux jours plus tard, après avoir fini de ranger Sir Ernest qui allait rester seul pendant trois mois, nous avons pris l'avion pour Genève. Fin de cette première étape.